Une théorie de l'esprit déficitaire (1ère version)

Cette théorie est fondée sur l’hypothèse que les états mentaux ne sont pas immédiatement observables, mais qu’ils doivent être déduits. Cette déduction nécessite un mécanisme cognitif complexe. La capacité d’attribuer des états mentaux - tels que des intentions, des pensées, des sentiments, des croyances, des connaissances, etc. - à soi-même et aux autres est appelée 'théorie de l’esprit'. On part du principe que cette capacité est perturbée chez les personnes avec autisme.

Les arguments en faveur de la théorie de l'esprit pour expliquer l'autisme

De nombreuses études empiriques viennent étayer cette théorie. On utilise souvent à cet effet un test de fausse croyance ('false belief') de premier ordre, qui ne doit normalement poser aucun problème pour les enfants âgés de 4 à 5 ans. 

Test de 1er ordre :

Dans ce test, on vérifie si une personne comprend qu'une autre peut avoir une conception erronée de la réalité, comme dans la célèbre expérience de Sally et Anne. Dans cette expérience, on montre deux poupées (Sally et Anne), ainsi qu'un panier et une boîte. Sally met une bille dans le panier pendant qu’Anne la regarde, puis va se promener. Pendant ce temps, Anne prend la bille et la met dans la boîte. On demande ensuite à l’enfant où Sally cherchera la bille à son retour. Les enfants qui ont une théorie de l’esprit se rendent compte que Sally ne regardera pas à l’intérieur de la boîte car elle n’a aucun moyen de savoir que la bille a été déplacée. Les enfants qui n’ont pas encore de théorie de l’esprit répondent que la bille est dans la boîte. Lors de l'expérience, 80% des enfants qui avaient de l'autisme ont échoué à cette tâche. Les 20% restants ont par contre échoué à une tâche plus complexe (un autre test de fausse croyance dit de second ordre), ce qui n’est pas un problème en général pour des enfants âgés de 7 ans qui n'ont pas d'autisme.

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Repris de Uta Frith, 2005.

Test de second ordre :

Dans un test de fausse croyance de second ordre, il s'agit de comprendre qu'une autre personne a une conception erronée de l'information détenue par une troisième personne.

Pour ce test, on raconte, par exemple, l'histoire suivante : John et Mary voient un marchand de glaces dans le parc. John et Mary vont se promener. Par la suite, on raconte à John et Mary séparément que le marchand de glace ne se trouve plus dans le parc, mais qu'il est maintenant près de l'église. Aucun des deux ne sait que l'autre a reçu cette information. On pose ensuite des questions telles que « Où Mary pense-t-elle que John est parti acheter une glace ? ».


Un retard de développement au niveau de cette capacité donnerait une explication aux problèmes que manifestent les enfants avec autisme en matière de prise de perspective, de pragmatisme, d'empathie et d'autres aspects du développement social et du fonctionnement social.


Cette hypothèse cognitive semblait à première vue assez plausible ; ses adhérents ont supposé qu'elle était universelle et spécifique à l’autisme, et qu'elle proposait un mécanisme compréhensible expliquant les principaux symptômes secondaires des personnes présentant de l'autisme. Malgré le fait que cette théorie psychologique nous ait effectivement fourni beaucoup d’informations, il convient de la nuancer quelque peu. Les opposants à cette théorie sont de plus en plus nombreux à émettre des réserves, dont quelques-unes sont exposées ci-dessous.

Les arguments en défaveur de la théorie de l'esprit pour expliquer l'autisme

Une première objection concerne le fait que le déficit de la théorie de l’esprit ne peut pas expliquer les déficits socio-pragmatiques rapportés par les parents chez ces enfants avant l’âge de 3 ans et/ou chez les enfants qui fonctionnent à un niveau de développement inférieur à celui auquel la compréhension socio-cognitive se manifeste normalement. C'est pourquoi, les recherches se concentrent actuellement sur les ‘précurseurs' de la théorie de l'esprit (l'attention conjointe et l'imitation) afin d'essayer d'expliquer ces premières difficultés.


Une autre objection concerne l’universalité du déficit. Au fil des ans, des études ont été publiées dans lesquelles le taux de réussite sur les tâches de fausses croyances de premier ordre varie de 38 à 90 %. Chez les enfants sans déficience intellectuelle, des taux de réussite allant jusqu’à 60 % sont également rapportés dans les tâches de second ordre. Les prestations semblaient liées à l'âge tant chronologique que verbal des enfants. Certains adultes avec autisme réussissent même des tâches de théorie de l’esprit ou de prise de perspective plus complexes. On ne sait pas si ceux qui ont réussi ces tâches utilisent une stratégie alternative pour les résoudre. Mais la conclusion selon laquelle certaines personnes avec autisme réussissent des tâches liées à la théorie de l'esprit, tout en manifestant de sérieux problèmes socio-communicatifs, montre que cette théorie a ses limites. De plus, cette théorie est non spécifique à l'autisme puisque des personnes présentant un autre handicap, comme la surdité, les déficiences intellectuelles ou la schizophrénie ont également ces difficultés. Enfin, la théorie n'explique pas vraiment la rigidité et les conduites stéréotypées qui font partie de la symptomatologie de l'autisme.
 

Le terrain de la recherche s'est, par conséquent, élargi en se concentrant davantage sur les particularités cognitives globales : les déficits sur le plan des fonctions exécutives et le manque de cohérence centrale.